Nicolas Perret : une carrière dans le jeu vidéo, entre défis et innovations
INTERVIEW
Pierre-Vincent PIETRI
2/17/20255 min read


Pierre-Vincent : Comment as-tu débuté dans l’industrie du jeu vidéo, et comment ce choix était-il perçu à l’époque ?
Nicolas : À l’époque, travailler dans le jeu vidéo n’était pas bien vu. Ce n’était pas considéré comme un métier sérieux, et beaucoup pensaient que ce n’était qu’un passe-temps sans avenir. Mon père, par exemple, me conseillait de chercher un "vrai travail". Pourtant, ma passion pour les jeux vidéo et mon envie de créer étaient plus fortes.
Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé : cette industrie est reconnue et attire énormément de jeunes talents. Cependant, beaucoup sous-estiment les exigences du métier, qui demande bien plus qu’une simple passion. Il faut des compétences techniques, de la rigueur et surtout une grande capacité d’adaptation.
Pierre-Vincent : Tu as travaillé chez Delphine Software, un studio emblématique à l'origine de Fade to Black et Moto Racer. Peux-tu nous partager ton expérience ?
Nicolas : Après une période difficile chez Titus, j’ai eu la chance d’intégrer Delphine Software, un studio qui jouissait d’une réputation internationale. Certains allaient même jusqu’à le comparer à Kojima Productions, tant notre approche du développement était innovante. Travailler chez Delphine a été la meilleure période de ma carrière. L’ambiance était stimulante, et nous avions une véritable liberté créative. Malheureusement, le studio a fini par fermer après une grosse erreur stratégique : la sortie d’un jeu inachevé.
À l’époque, il n’y avait pas encore la possibilité de corriger les erreurs après coup avec des mises à jour comme aujourd’hui. Une sortie ratée était fatale. Ce problème fait d’ailleurs écho à des cas plus récents, comme celui de Cyberpunk 2077, qui a subi une pression énorme pour sortir trop tôt.
La différence, c’est qu’aujourd’hui, les studios peuvent redresser la barre avec des patchs, ce qui n’était pas possible pour nous.
Pierre-Vincent : 2003 a marqué l’industrie du jeu vidéo en France. Quels en ont été les impacts et les causes principales ?
Nicolas : Cette crise a été un véritable séisme pour l’industrie française. La moitié des studios ont fermé leurs portes, y compris Delphine Software. Plusieurs raisons expliquent cette catastrophe :
L’arrivée de la PlayStation 2, qui nécessitait des compétences techniques avancées que peu de studios français maîtrisaient à l’époque.
Un changement dans la stratégie des éditeurs, qui sont devenus plus frileux et ont privilégié les suites de jeux connus plutôt que de prendre des risques sur des concepts originaux.
La faillite de Sega, qui a bouleversé l’équilibre du marché et renforcé la domination d’éditeurs comme Electronic Arts. Cela a contribué à transformer l’industrie du jeu vidéo en un secteur de plus en plus axé sur le marketing et la rentabilité immédiate, au détriment de la créativité.
Cette crise a laissé de nombreux développeurs sur le carreau, mais elle a aussi été un moment clé pour repenser l’organisation de l’industrie en France.
Pierre-Vincent : Après cette crise, tu as créé une association pour soutenir l’industrie du jeu vidéo en France. Peux-tu nous en dire plus ?
Nicolas : Oui, j’ai fondé une association appelée JIRAF (le Jeu vidéo et son Industrie Rassemblent leurs Acteurs Français - loi 1901) dans le but de mieux comprendre la situation des développeurs et d’engager un dialogue avec les décideurs. Ce n’était pas un syndicat, mais certains professionnels du secteur ont eu peur qu’il en devienne un.
Nous avons organisé des rencontres entre développeurs, éditeurs et investisseurs, notamment à la Bourse de commerce de Paris. Ces échanges ont permis de sensibiliser les pouvoirs publics à l’importance du jeu vidéo et de débloquer certaines aides.
Nous avons même pu dialoguer avec des ministres pour défendre notre secteur. Grâce à ces initiatives, le gouvernement a commencé à soutenir davantage les studios français, ce qui a permis d’en sauver certains et d’offrir de nouvelles perspectives à l’industrie.
Pierre-Vincent : Penses-tu que les aides actuelles suffisent à soutenir l’industrie vidéoludique ?
Nicolas : Aujourd’hui, l’industrie bénéficie d’un certain nombre d’aides, mais elles proviennent principalement du CNC, qui est historiquement orienté vers le cinéma. Le problème, c’est que ce financement n’est pas spécifiquement pensé pour le jeu vidéo. Je pense qu’il serait pertinent de créer une taxe dédiée, qui permettrait d’alimenter directement un fonds pour le jeu vidéo. Cela garantirait un soutien plus stable et pérenne pour les studios français. Sans cela, nous risquons de dépendre d’aides ponctuelles, ce qui n’est pas viable à long terme.
Pierre-Vincent : Parlons maintenant de l’intelligence artificielle. Quel rôle joue-t-elle dans la création de jeux vidéo ?
Nicolas : L’IA générative est un outil puissant, mais elle ne remplacera jamais les créateurs humains. Elle peut aider à automatiser certaines tâches répétitives, comme la création de textures, de paysages ou de concepts visuels préliminaires, mais elle manque de sensibilité artistique et de cohérence.
Prenons l’exemple des artistes : l’IA leur permet de générer rapidement des idées et des ébauches, mais au final, c’est toujours l’humain qui prend les décisions. Un bon artiste qui sait utiliser l’IA comme un outil restera toujours pertinent. En revanche, quelqu’un qui compte uniquement sur l’IA sans valeur ajoutée personnelle risque de se faire dépasser.
Dans le développement de jeux, l’IA peut aussi être utile pour des aspects plus techniques, comme l’optimisation des animations ou la génération procédurale de contenus. Mais lorsqu’il s’agit de créer des personnages crédibles, avec une vraie identité et une profondeur émotionnelle, l’IA atteint vite ses limites.
Pierre-Vincent : Pour conclure, comment vois-tu l’avenir de l’IA dans l’industrie ?
Nicolas : Je pense que l’IA va continuer à s’améliorer et à se généraliser dans les processus de création, mais toujours comme un outil d’assistance plutôt qu’un substitut au travail humain. L’un des domaines les plus prometteurs est l’adaptation dynamique des interactions en jeu. Par exemple, dans les RPG, l’IA pourrait permettre aux PNJ (personnages non-joueurs) de réagir de manière plus naturelle et personnalisée aux actions des joueurs, rendant les expériences plus immersives. Mais il faut rester prudent. Une trop grande dépendance à l’IA pourrait appauvrir la diversité des styles artistiques et des visions créatives. Il est essentiel que les développeurs gardent le contrôle et utilisent ces technologies avec discernement.
Nicolas Perret, développeur de jeux vidéo fort de plus de 30 ans d'expérience et intervenant Gaming Fabbrica pour la troisième édition de la Corsica Games Week, partage son parcours ainsi que son engagement pour la préservation du patrimoine vidéoludique.
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