Fabien Mariani : Entre passion, défis et intelligence artificielle dans le jeu vidéo

INTERVIEW

Pierre-Vincent PIETRI

2/10/20256 min read

Pierre-Vincent : Bonjour Fabien, merci de nous accorder cet entretien. Pour commencer, peux-tu nous parler de ton parcours dans le jeu vidéo ?

Fabien : Bonjour, avec plaisir ! Depuis mon enfance, j’ai toujours été passionné par le jeu vidéo. J’ai toujours voulu en créer, mais à l’époque, l’accès aux formations et aux ressources était assez limité. Au tournant des années 2010, je ne trouvais plus les jeux immersifs et complets dont je rêvais, faits par passion et vision. L’industrie a pris une autre direction, dont elle paye les factures aujourd’hui. Alors, j'ai décidé de me lancer, car on n’est jamais si bien servi que par soi-même ! Il a fallu trouver, ou parfois inventer, les ressources nécessaires pour donner vie à cette ambition. Aujourd’hui, je me considère avant tout comme un concepteur, à mi-chemin entre créatif et stratège, plutôt qu’un développeur, ce que je ne suis en réalité pas du tout.

Pierre-Vincent : Tu as lancé ton propre projet, Winterfall. Peux-tu nous en dire plus sur son origine ?

Fabien : Tout a commencé avec un projet que j’avais nommé Wintercold. À l’époque, c’était un univers de dark fantasy beaucoup plus classique et les références corses n’étaient pas encore présentes. Malgré mon inexpérience et à ma petite échelle, il y a eu beaucoup de traction autant en termes financiers qu’en termes de résultats. J’ai réussi à développer un prototype fonctionnel très rapidement grâce à des freelancers trouvés sur internet. Certains ont d’ailleurs eu depuis une belle carrière ! À cette époque, le marché du jeu indépendant était en plein essor et j’avais tous les éléments pour aller vers des résultats rapides.

Pierre-Vincent : Mais un événement a changé la trajectoire du projet, n’est-ce pas ?

Fabien : Oui, un moment clé, en 2014, a été l’annonce d’un jeu très similaire par Richard Garriott, un créateur légendaire dont j’admirais énormément les jeux alors, qui m’avait beaucoup influencé. Craignant la concurrence avec mon “mentor”, j’ai décidé de modifier radicalement mon jeu. D’un point de vue stratégique, ce fut une grosse erreur, car ce changement a ralenti considérablement le développement et entraîné de nombreuses difficultés. Cependant, sans ce pivot, Winterfall aurait-il jamais existé ? Rien n’est moins sûr.

Pierre-Vincent : Tu as rencontré plusieurs obstacles, notamment financiers. Comment as-tu géré ces défis ?

Fabien : Les années qui ont suivi ont été très compliquées, entre opportunités et frustrations, succès et échecs. Beaucoup d’intérêt de gros éditeurs et de la part du public. Le soutien local également, notamment de Corsica Sound, de la Collectivité de Corse, de VITO Corse et d’une partie du public. Mais des financements cruciaux qui avaient été annoncés ne se sont finalement pas concrétisés, entraînant une spirale de difficultés, techniques, logistiques, professionnelles, personnelles… Dans le même temps, l’envergure du projet en tant qu’œuvre créative, pas juste jeu vidéo, mais univers, surtout avec sa dimension Corse, n’a cessé de prendre de l’importance et d’exiger une vraie réflexion. Alors, aujourd’hui, je continue à travailler sur Winterfall, mais avec une nécessité d’harmonie avec d’autres activités et nécessités.

Pierre-Vincent : Tu as aussi un autre projet en parallèle, un jeu de stratégie. Peux-tu nous en parler ?

Fabien : Oui. Winterfall a toujours été décrit comme un ensemble d’expériences, pas juste un jeu. Visuel, littéraire, musical… Parmi ces choses, un jeu de plateau virtuel basé sur Winterfall, créé pendant la pandémie, à un moment où le besoin de ressourcement était important. Ce jeu est aujourd’hui en collaboration en version jeu vidéo avec Philippe Thibaut, un spécialiste dans ce domaine avec 30 ou 40 ans de métier, lui aussi lié à la Corse et présent pour la CGW. Un travail est également en cours avec Pierre Estève sur cet univers, cette “proto-Corse” imaginaire. Winterfall a mûri en un projet créatif beaucoup plus large et transversal, beaucoup plus inclusif de talents et d’influences corses, vecteur nécessaire à solidifier cette “marque” et à amener le jeu où il doit aller.

Pierre-Vincent : Parlons maintenant d’un sujet très actuel : l’intelligence artificielle. Quel rôle joue-t-elle dans un processus créatif ?

Fabien : L’outil IA est un formidable allié pour la démarche de Winterfall. Je l’utilise comme assistant créatif et stratégique, pour explorer des possibilités ou mettre en forme de la matière. Elle ne remplace pas le facteur humain, ce qu’elle n’a pas vocation à faire dans le créatif, mais elle l’assiste. Il faut toujours une intervention humaine au début, pour donner une intention, une direction, voire une méthodologie et à la fin, pour affiner le résultat. L’IA peut surprendre avec des propositions inattendues ou inspirantes, mais au bout du compte, c'est l’humain qui garde le contrôle en intégrant ces suggestions dans sa vision créative.

Pierre-Vincent : Penses-tu que l’IA va transformer le jeu vidéo, notamment dans les RPG ?

Fabien : Absolument. C’est déjà le cas. L’IA peut influencer les dialogues et les interactions, rendant les quêtes plus dynamiques et mieux adaptées aux joueurs, en générant du “contenu”, comme on dit. J’ai passé 6 pu 7 ans à développer pour Winterfall un système de personnalités virtuelles et de psychologie simulée. Les outils IA existants aujourd’hui pourraient permettre de donner vie à tout ça à un autre niveau. Dans le cas de Winterfall, On peut ainsi imaginer des personnages dotés non seulement de véritables émotions et réactions, mais de toute l’armature logique et gameplay qui vient donner un sens à tout cela, ce qui enrichirait considérablement l’expérience de jeu.

Pierre-Vincent : Revenons à Winterfall. C’est un projet ambitieux qui prend du temps à se concrétiser. Pourquoi ce choix ?

Fabien : Il s’est avéré évident au bout d’un moment que je ne m’étais pas juste lancé dans un jeu, mais dans une œuvre. Les difficultés rencontrées, les délais, la nécessité de tout apprendre et tout résoudre en temps réel, jongler avec l’aspect business, logistique, technique… tout ça complexifie grandement le processus et vous mène dans des domaines inattendus. Je n’ai pas non plus fait que des choix de partenariat heureux. En somme, j’ai fait toutes les erreurs possibles et rencontré maintes fois l’échec. J’ai dû beaucoup négocier avec lui. Les impératifs de la vie (et parfois de la survie) ont aussi beaucoup eu à dire. Winterfall a été à la fois une vision inspirante et une école. Je ne savais pas en m’y plongeant que j’allais en réalité me lancer réellement dans l’aventure de la paternité, métaphoriquement parlant ! On sait qu’on y va, mais on ne peut pas savoir jusqu’où ça va nous mener et à quel prix.

Pierre-Vincent : As-tu prévu de présenter une démo jouable à la Corsica Games Week ?

Fabien : Malheureusement toujours pas. C’est toujours le loup blanc. J’espère donner l’opportunité au public d’en découvrir plus sur les autres aspects du projet. C’est important pour moi de toujours rassurer que quelle que soit la forme, l’avancement de Winterfall ne cesse jamais.

Pierre-Vincent : Qu’est-ce qui te motive à continuer malgré les défis cités précédemment ?

Fabien : Winterfall est plus qu’un jeu pour moi. C’est un projet qui m’a construit en tant que créateur et même en tant qu’homme. Il m’a aussi ouvert d’autres opportunités, notamment en tant qu’expert et enseignant dans le domaine du jeu vidéo. C’est une aventure atypique abordée très atypiquement et à grands coûts, mais malgré les difficultés, ma détermination reste intacte et absolue. Comme un enfant qui naît, on en vient à réaliser qu’il a son propre destin à accomplir et que l’on n’est, au bout du compte, que le facilitateur de cette destinée.

Fabien Mariani est un concepteur de jeux vidéo indépendant dont le parcours illustre la passion et la persévérance nécessaires pour donner vie à une vision créative. Autodidacte, il s’est lancé dans le développement de Winterfall, un projet ambitieux qui a traversé de nombreux défis, entre obstacles financiers, restructurations et choix stratégiques complexes. En plus de répondre présent en tant que parrain de la troisième édition de la Corsica Games Week, Fabien Mariani animera également les ateliers Gaming Fabbrica à L'Animu.

Pour en apprendre davantage sur Fabien Mariani et ses réalisations, rendez-vous sur Winterfallgame.com